In vino Rayas, RVF

Rayas-okChâteau Rayas est une cerise sur le gâteau de Châteauneuf-du-Pape. Emmanuel Raynaud en a repris les reines en 1997. Derrière son oncle mystifié, il fallait ménager la monture pour laisser voyager les gens. Pendant dix ans, il a gardé le silence et refermé encore les portes d’un domaine déjà inaccessible. Les voilà qui s’entrebâillent sur un univers fascinant…

 

 

La RVF : C’est quoi Rayas ?

Emmanuel Reynaud : Probablement une rusticité. Regardez autour de vous. Vous avez roulé sur des chemins de terre anonymes pour venir ici. Voilà la maison, au nord, dans l’ombre, avec ses airs fantomatiques. Alentour, une flore dense, riche, aromatique. Presque aucune trace humaine… On est dans un autre monde. À part. Ailleurs. Loin du système. C’est la même chose quand on ouvre la bouteille. On recule d’abord, surpris par l’austérité. Comme avec le propriétaire. (rires) Le vin se fait très discret puis il vient tout en délicatesse et ne s’arrête jamais.

 

La RVF : Mais le propriétaire ne reçoit guère. Vous cultivez le mythe ?

  1. R. : Notre site internet s’ouvre sur une phrase de Cocteau : « L’histoire ment. Seule la légende dit vrai. » Ce n’est pas moi qui l’ai choisi mais elle convient bien. Il faut garder une partie de mystère, oui. On a toujours aimé être cachés, tranquilles. Pour vivre heureux… Le vrai mot est « discret ». J’aime la discrétion. Rien qu’en dégustation, elle est indispensable. Pour partager le vin, il faut avoir conscience du moment. Du grand moment. On ne peut pas s’exposer à tous les regards. Et puis on n’a pas assez de vin pour tout le monde alors on ne peut pas voir tout le monde. On n’a pas assez de temps. Le temps est pour le vin. On ne parle que de Rayas, de la crème, mais il y a Fonsalette et les Tours. Ils participent de la même histoire. C’est beaucoup de travail et j’adore travailler. Mais oui, vous avez raison, il y a une volonté de se protéger du monde.

 

La RVF : Rayas se mérite?

  1. R. : Rayas se comprend. C’est d’abord une philosophie. Du vin fait avec des petits fruits à 99,999…%. Dehors, tout est pensé, pesé, raisonné. Cela fait 20 ans qu’on n’utilise aucun pesticide, même bio. En cave, rien qui n’entrave la pureté, le soufre est minimisé. Cette terre est une chance. On est né dedans, on n’a pas beaucoup de mérite alors il faut s’effacer. Surtout ne pas prendre la grosse tête. Nos terroirs sablonneux sont probablement l’idéal du grenache. C’est un sable très fin, siliceux, comme le sable de mer. Il contient très peu d’argile alors le grenache s’étire délicatement, tout en fraîcheur et en soyeux. Le grenache boit le terroir. Mais le thym ramassé à Rayas n’a pas non plus le même goût que celui de Fonsalette. Même chose pour le miel, il sera plus subtil à rayas. C’est une chance de pouvoir faire parler ça alors il faut se taire. La discrétion encore. La plus grande des qualités. Ce sol ne nous appartient pas. Notre première place est de le respecter, dans la plus grande simplicité. Chaque année aura son histoire, la nôtre consiste seulement à s’adapter. Il y en a de petits, il y en a de plus grands. C’est comme les gens. Il y en a qui vous apportent, d’autres pas. Il faut les laisser cheminer, ils vous surprennent souvent. Vous avez adoré 94, c’était un petit millésime…

 

La RVF : Rayas demande du temps?

  1. R. : Ah oui, énormément de temps! Un minimum de 15-20 ans et bien plus encore sur quelques millésimes comme 95. Plus il est jeune, plus il vous faudra le carafer longtemps. 24 heures minimum, dans un endroit frais, mais le double si vous voulez le boire avant dix ans. La première décennie, le grenache est adolescent. Il ne faut pas toujours essayer de l’attraper. Parfois il répond. Parfois on le dérange. Il faut accepter les jours avec et les jours sans. Vous venez goûter les 2007 un jour de pleine lune, vous aurez tout ce qui est superficiel, évanescent : le côté floral, l’acidité. Quand la lune descend, on déguste ce qui est sage, en profondeur. Mais la première année, c’est l’aérien qui domine, amplifié par la pleine lune.

Il faut laisser le grenache s’assagir.

 

La RVF : et les blancs?

  1. R. : Même patience. La clairette apporte beaucoup de surprises si on sait l’attendre. C’est grâce à elle que Rayas dure. Il faut l’associer à un cépage qui la mène : le grenache blanc joue ce rôle pour 50% de l’assemblage. On l’enferme un peu vif, très sauvage, à un moment où on y croirait pas.

 

La RVF : Quelques confrères éclairés affirment que les vins ont gagné en précision, notamment les blancs, depuis que vous êtes au domaine. Les « amateurs » sont nostalgiques de l’oncle.

  1. R. : à chaque changement de génération, on dit la même chose. C’est arrivé aussi à la mort de mon grand père. On ne peut pas l’éviter. Quand mon oncle a disparu, les gens ouvraient ses bouteilles, donc des vins vieux, et comparaient. Il faut se poser plus de questions.

Moi, je suis toujours resté dans l’ombre. Depuis 1983, je travaille dans les vignes. L’école ne m’intéressait pas. Je m’occupais du Château des Tours, à Sarrians. Je ne me montrais pas. C’était le jeu. Je ne m’immisçais ici que si nécessaire. Quand j’y suis entré, j’ai voulu qu’on prenne du recul. Pendant dix ans, je tenais à tout prix qu’on ne parle pas trop. Ça m’amuse toujours de voir des gens qui ne sont pas venus depuis. Ce sont souvent eux qui s’étonnent. C’est important d’avoir des clients fidèles, des gens qui connaissent une famille. Je ne fais pas mieux, c’est une suite. Après, il y a les spéculateurs et les grands clients.

 

La RVF : Vous faites le tri dans les clients?

  1. R. : Je laisse le temps à chacun de cheminer. Le plus important, c’est que le vin soit bu. Je ne veux pas que le vin circule. Quand je vois sur Internet des bouteilles revendues, je supprime le client. On n’arrive déjà pas à servir tout le monde alors il ne faut pas gâcher. Rayas, c’est un gâteau qu’on partage. Je veux que les gens vivent ce bon moment, qu’ils en soient contents et surtout, qu’il les laissent avec des interpellations.

 

La RVF : Peu de gens sont entrés dans cette cave. On a l’impression d’un endroit oublié, que les barriques sont pétrifiées…

  1. R. : Moi même, j’y descend rarement. Je ne goûte pas frénétiquement. Le vin doit vivre tranquillement. On laisse la cave dans un esprit d’austérité. Les vieilles bondes de bois sont toujours là. Les barriques grisent avec le temps. Les plus vieilles ont quatre-vingt ans, la plupart trente. Les fonds sont tordus par gaz carbonnique… Le réceptacle n’est pas important.

 

La RVF : Mais tout de même, cette vieille pompe qui gît derrière les barriques, elle ne serait pas mieux à la déchetterie? C’est important que le décor reste immuable ?

  1. R. : Tout participe. Oui, c’est comme si on ne devait rien toucher. Il y a une imprégnation de levures, d’odeurs, une vie à cultiver. Au Château des Tours, le chai est plus moderne mais je laisse parfois les jus déborder, la vie se propager. Ce qui ne gêne pas peut rester. La pompe ne me dérange pas. Quelquefois, on en enlève… mais rarement. Oui, c’est comme si rien ne devait bouger. C’est important de laisser tout ça ensemble. On a besoin de tout. Si on dégustait sur une table nickel, ce ne serait peut-être pas Rayas.

 

La RVF : C’est comme si le fantôme de votre oncle y était aussi. Il ne faut pas le déranger?

  1. R. : C’est une lignée. Chacun fait son vin en fonction de sa personne. Il lui ressemble. Peut-être aussi que ce lieu me ressemble… On ne détient pas la vérité.

 

La RVF : Elle est dans le verre, n’est-ce pas ? Et cette pureté défie l’œnologie hygiéniste.

  1. R. : Mon fils est au lycée viticole. On apprend aux jeunes à faire du vin avec une panoplie de produits, à fabriquer, à corriger… C’est tellement loin du raisin. Le professeur de mon stagiaire est venu au domaine parce qu’elle ne croyait pas qu’on pouvait faire du vin sans ajouter des levures en sachet. Les jeunes sont trop décalés. Il ne faut pas les pousser. Il faut leur laisser le temps de cheminer. Ce métier est trop difficile pour n’en attendre que l’argent. On n’y va pas si on n’est pas passionné. Ensuite, il faut quinze ans pour se faire connaître. Et si vous ne rencontrez pas quelqu’un qui vous dit que vous avez raison, vous pouvez passer à côté. J’ai peur pour les jeunes vignerons… Nous, on a la chance d’être dans une grande appellation. Ce n’est malheureusement pas ici qu’ils peuvent s’installer. Et ce n’est pas toujours dans les grandes appellations qu’on se pose des questions…

 

Prénom et nom : Emmanuel Raynaud

Né le : 28 novembre 1963 à Saint-Étienne

Profession : vigneron

Signe particulier : main de velours dans un gant de fer. Le premier regard vous évite. Le second est une inquisition. Le troisième s’allume quand la patte est blanche. Là sort l’humilité des grands vignerons, la conscience d’un fabuleux terroir qui se mérite pour lui comme pour celui qui le boit.

Sa plus grande émotion de dégustation : l’abricot. « C’est toujours à lui que je pense quand je goûte un raisin pour évaluer sa maturité. C’est mon repère, le fruit le plus proche. »

 

 

Note de dégustation de Jules Chauvet sur un Château Rayas 1945 dégusté en 1952

 

Couleur : grenat, feu.

 

Arômes très fins :

Truffe

Sous-bois, feuille morte, terre mouillée.

Épice exotique, cannelle, poivre, encens, ambre.

Tabac de la Havane.

Rose, coing.

Prune, cachou discret, subtil.

Complexe de résine très fine, encens, truffe.

 

Odorat gustatif : tabac de la Havane évoluant vers le chrysanthème.

 

Saveur étalée, onctueuse, tannique, longue.