Claude Bourguignon, FOOL

La vie dans 50 cm

 

Bourguignon-okLydia et Claude Bourguignon sillonnent la Terre pour la retrouver.

Analyse de sols.

Etude de consciences.

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Lydia et Claude Bourguignon sont tous deux bardés de diplômes scientifiques (elle est Maître es-science et lui ingénieur agronome). Ils se sont rencontrés sur les bancs de l’INRA (le grand Institut scientifique français de recherche agronomique publique). Elle travaillait sur la qualité des aliments. Il officiait sur la qualité des sols. Les deux extrêmes de la chaine… Mais les sols n’intéressaient guère l’INRA à l’époque (depuis, la grande institution française s’est réveillée) et les choix sur la recherche alimentaire révoltaient Lydia. Le couple a donc décidé de créer son propre laboratoire, dédié aux sols.

Depuis 1989, ils analysent le sol sur trois plans : physique, chimique et biologique. Mais toujours en place. Pas d’échantillon par la poste. De la surface au fond, ils testent et observent. Les racines sont le meilleur témoin : un sol compacté et désherbé a un enracinement horizontal. Parfois même, elles remontent chercher la nourriture. « Quand on a un enracinement profond, on a de bons produits. »

Lydia et Claude Bourguignon ont commencé par travailler pour des céréaliers désemparés de leur récolte. Puis les vignerons, intéressés par ces travaux, sont venus à eux : ils travaillent toujours avec le Domaine Leflaive, la Romanée Comti, Anselme Selosse… Mais désormais, de grandes instances font appel à eux : la Banque Mondiale, l’Agence Française de Développement et le CIRAD (centre de recherche français qui travaillent avec les pays du Sud) s’alarment sur l’érosion provoquée par l’agriculture intensive…

« Il aura fallu 40 ans de chimie pour détruire 90% de l’activité des sols. »

Mais les Bourguignons estiment qu’un sol pas trop abîmé peut revenir à la vie en cinq ans. « Pour des cultures violentes comme la patate ou la betterave, massacrées par les récoltes et les semis, il faudra beaucoup plus de temps… »

 

« Quand je suis allé travailler en Afrique, on m’a offert un petit éléphant. Quand je suis allé travailler en Asie, on m’a offert un autre éléphant. Au troisième, j’ai pensé faire une collection. Celui qui me le tendait s’est étonné. « Pourquoi ? Tu ne sais pas que tu es un éléphant ? Tu es tout le temps en train de sentir la terre avec ta trompe ! » Voilà le métier de Lydia et Claude Bourguignon. Depuis plus de 20 ans, ils creusent, grattent et scrutent le sol du monde entier pour y analyser la vie, si elle y est encore. Dans ces pays reculés, mais tellement en avance, on cultive encore l’association de l’homme à l’animal totem, comme autrefois le Français avait le coq. Là-bas, on donne toujours des noms aux animaux, pas des numéros. La viande n’en sera que plus tendre. Et on ne construit pas d’usines pour se débarrasser de leurs déjections.

« L’idéal agricole d’équilibre est le modèle agro-sylvo-pastoral. La forêt pour le bois et la fertilisation du sol. Le bétail pour le fumier qui nourrit le sol qui nourrit l’homme. C’est le modèle le plus productif au monde. Un Balinais fait deux récoltes de riz par an. Il coupe les haies d’acacias (fixateur d’azote), les répend sur le sol après la récolte, fait passer les canards qui picorent les grains de riz restants et font de la merde… Résultat : 120 quintaux de riz. Zéro engrais chimique. Les engrais sont une énorme bêtise. Ils ont bouleversé les lois biologiques du sol. Ils le tuent. »

Ces engrais et les pesticides ont mis l’agriculture intensive sous perfusion. Ce sont les mêmes qui fabriquent les remèdes pour les plantes malades et les médicaments pour ceux qui les mangent. Et ce sont encore eux qui tiennent la recherche. Voilà pourquoi, en 1989, Lydia et Claude Bourguignon ont fondé leur laboratoire indépendant : le LAMS. Ils ont quitté le système pour retourner à l’essentiel : la terre.

« Ce n’est pas pour rien que les anciens ont appelé notre planète « terre ». Ils auraient pu la nommer « océan », les eaux la recouvrent à 70%. Mais la seule planète qui a un sol, c’est la nôtre. Depuis la fin du 19è, nous dégradons les trois milieux dans lesquels la vie s’épanouie. Nous nous inquiétons de polluer l’eau, de polluer l’atmosphère, mais nous ne mesurons pas le mal subit par ces 50 minuscules centimètres. Sans sol, sans terre, on ne mangera pas. En 1950, il suffisait d’une orange. En 2008, il en faudrait huit pour atteindre la même quantité de vitamines.* »

Lydia et Claude Bourguignon déclarent 90% des sols morts. Ils annoncent deux milliards de déserts créés depuis les débuts de l’agriculture dont un milliard en un siècle, autant qu’en 6000 ans d’agriculture… Ils dénoncent la folie du béton (en France, l’équivalent d’un département est bétonné tous les 7 ans) et ils s’indignent face à la déforestation.

La forêt justement, voilà le sol vivant. La forêt boit cent litres d’eau par heure quand un sol désherbé chimiquement en boit un millimètre, simplement parce que la vie y est préservée. Dans un sol compacté, la pluie ne peut pas rentrer. « C’est l’érosion qui provoque les inondations et emportent les argiles indispensables au sol. Depuis vingt ans, il n’y a jamais eu autant d’inondations alors que nous traversons les périodes les plus sèches. »

En forêt, une faune organisée broie la matière végétale pour la transformer en humus, assurer un tapis meuble et un sol aéré. Pas d’air : pas de racine et pas de nourriture pour la plante. « D’humus vient le mot humanité. Le sol abrite 80% de la biomasse vivante. Les verres de terre, à eux seul, représentent le même poids que tous les animaux de la Terre réunis. Leur rôle est fondamental : ils aèrent le sol et remontent à la surface la potasse, le phosphore, l’azote nécessaires aux plantes… Depuis 50 ans, nous sommes passés de 2 tonnes de verres de terre à l’hectare à moins de 100 kilos. Les écologistes se demandent à quel moment le système va lâcher… »

 

Voilà plus de vingt ans que le couple Bourguignon crient des vérités. Quelques uns, dont de nombreux vignerons, les ont entendu : la Romanée-Conti, le domaine Leflaive et le domaine Selosse ont été parmi les premiers à leur confier leurs sols. La biologie et la biodynamie y ont ramené la vie. Ailleurs, des rotations ou des semis de plantes ont pu restructuré la terre. Sur des sols plus dégradés encore, des résidus de broyage de bois ont prouvé leur efficacité. Chez les céréaliers, pour qui cette dernière technique serait trop onéreuse, les Bourguignons incitent à semer un couvert végétal (sarrasin, orge, radis…) pour semer ensuite la culture, afin que le sol ne soit jamais à nu.

A force de semer, Claude et Lydia Bourguignon récoltent, parcimonieusement, et l’idée germe d’une alternative. « Ça bougera. Il faudra du temps et il faudra des bras. » On en a.

* Une étude canadienne sur les fruits et légumes met en évidence une perte de calcium, de vitamine A et C qui atteind 60%.