Anselme Selosse, Omnivore

Selosse-okl’effervescent mille volts

 

Anselme Selosse. Avec un nom pareil, on s’attend à voir un cavalier botté et capé descendre d’un cheval écumant. Il sort comme un diable d’une petite Renault citrouille garée en bataille. « Je dois disparaître à midi, de quoi on parle ? ». Pas facile de prendre une décision devant l’apparition de Cendrillon… Il est capable de parler de tout Anselme Selosse. Il se questionne, fouille, essaye, veut tout comprendre, apprendre, savoir. Il suffit à peine d’énoncer la première syllabe d’un mot magique pour que le flot encyclo-vinique déferle. Sans notion de sténo, tu meurs.

Bon…de quoi on parle ? la pluie ? le beau temps ?…les levures ! C’est important, ça, les levures en champagne, c’est quand même la région viticole française qui engloutit le plus gros de sa production en sachet.

 

Bien évidemment, il a potassé le sujet et les cultive, les levures. Il s’y emploie dans les vignes comme dans les éprouvettes. Parce qu’Anselme Selosse est toujours un peu plus loin qu’où on l’attend. Oui, il fait de la sélection de levures. Mais c’est une « sélection massale ». Lorsqu’il a demandé au laboratoire de venir relever ses populations levuriennes, il a bien insisté pour qu’on prélève chaque barrique. La blouse blanche a suggéré qu’elles étaient inhérentes au matériel de cave, qu’elles avaient déserté les sols champenois, on a quand même obtempéré. Il se félicite sous cape du résultat : chaque terroir est habité, les microscopes ont révellé une quinzaine de colonies, la science n’en a reconnu que trois. Sur ce prestigieux tableau de chasse, il en a élu quatre, retenues plutôt pour leur discrétion : faibles génératrices de SO2, point trop de H2S ni d’aromatisation. Mais ces sélections n’interviendront que sur la deuxième fermentation, la première, capitale, n’écoutant que le millésime, des premiers aux ultimes balbutiements. Il ne lui enlèvera rien : jusqu’à la mousse des bourbes récupérée sur les parois des cuves et parcimonieusement redistribuée à la petite cuiller dans chaque barrique. « Les vins deviennent ce qu’ils ont envie de devenir, surtout pas le modèle qu’on s’est fixé. » Evidemment, ce gars-là fait ombre à la région. Les 96 d’Anselme Selosse mitonnent au fond de la cave. « pas prêt à se donner ». Et oui, ce n’est pas parce qu’un vin est enfermé dans une bouteille qu’il faut le boire. Dans le champagne, il s’en passe encore pas mal. « Les levures se lisent elles-même. » C’est sa façon de parler d’autolyse à Anselme Selosse, plutôt littéraire pour un type qui se raccroche à la science… « Non, c’est juste que je me refuse d’utiliser un comme outil quelque chose que je ne comprend pas. » Et là, il se passe quoi ? « Les levures meurent, se décomposent en acides aminées qui participent à la libérations des arômes. » ça s’explique peut-être chimiquement tout ça mais ça a aussi une raisonnance sensiblo-logique : comme les micro-orgnanismes du sol vont composter pour exprimer le terroir, les levures retransmettent doucement en se solubilisantsant. « Le vin s’enrichit de ses sédiments. Il va s’éloigner du fruit pour descendre dans le terroir, profondément. » Le sol tire encore la couverture. Le dessous vient dessus. « La sensation fraîche d’un champagne vient des minéraux, de la sève qui a véhiculé ces minéraux et alimenté le raisin. »

« Et le vin a besoin d’air » Le sien n’en a pas peur, trop costaud. Même le pourrit n’a pas goût de pourrit chez Anselme Selosse. Parce qu’il assume à la vigne, il se permet des expositions à l’énemi oxygène dont la plupart des vignerons frissonnent. Là dessus aussi, il a beaucoup réfléchi. Les longues périodes d’emprisonnement en bouteille le torture. « Au dégorgement, le vin recommence à respirer. » Et lui aussi. « plus il sera resté longtemps sur lie, plus il aura besoin de temps pour se libèrer. » Il a aussi calculé ça. « Il faudra au moins deux mois pour deux ans de séjour sur lies. »

Il a encore des tonnes de livres à transmettre Anselme Selosse, mais là, il a rendez-vous avec Claude Bourguigon, un type qui se pose autant de questions.